Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick

Dre Kelly Bronson


fr-kb1) Quel poste occupez-vous présentement et quel est votre titre officiel?

Je suis la directrice par intérim du programme des études scientifiques et technologiques à St. Thomas University. Ce programme explore les rapports entre la société et les sciences et technologies. (St. Thomas University a aussi proposé ma candidature à une chaire de recherche du Canada en innovation responsable sur le plan social et environnemental.)

2) Quelle formation avez-vous reçue?

J’ai d’abord étudié en biologie (baccalauréat en sciences de la santé de Queen’s University) et j’ai travaillé pendant une courte période comme généticienne de laboratoire, étudiant certaines des espèces végétales des terres humides les plus envahissantes. Ce travail me rendait heureuse, car je résolvais des énigmes qui avaient une réelle importance écologique. En 2001, cependant, la résistance publique généralisée aux aliments génétiquement modifiés a suscité ma curiosité. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je serais plus heureuse à examiner les questions relatives à l’interface science-société et j’ai décidé que je voulais travailler à combler les lacunes entre la société et les sciences et technologies. Ma recherche vise plus particulièrement à faire valoir les points de vue de la société dans la gouvernance des technologies controversées, que ce soit les aliments génétiquement modifiés, la fracturation hydraulique ou les données volumineuses, afin de maximiser leur durabilité sur le plan social et environnemental. J’ai fait mes études de cycles supérieurs en sociologie et en études culturelles (maîtrise de University of Saskatchewan et doctorat de York University).

3) Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel. D’où vient votre passion pour la recherche ou le travail que vous faites et comment s’est-elle développée?

Ma recherche, axée sur la relation entre la société et les sciences, est motivée par le désir d’établir des partenariats durables entre les humains, les technologies et l’environnement. Ce désir a été éveillé pendant mes toutes premières contributions en tant qu’écologiste de laboratoire, mais je pense que j’ai toujours été préoccupée par l’environnement et nos relations sociales avec la nature. Ma grand-mère paternelle m’a réellement inculqué l’amour de la nature (elle avait même l’air de Rachel Carson) et j’ai récemment trouvé un essai que j’avais rédigé pour un cours d’études sociales de 10e année, intitulée « Biological Management of Wolves in Algonquin Park: Underestimating complexity » (Gestion biologique des loups dans le parc Algonquin : sous-estimation de la complexité). J’étais donc peut-être toujours sur la même voie, mais, en réalité, ce sont quelques professeurs à l’université qui m’ont aidée à poser les questions d’approfondissement qui m’ont amenée à mettre fin à la pratique scientifique pour trouver des moyens d’établir un lien entre les sciences, les besoins sociaux et les exigences environnementales.

4) Parlez-nous d’un ou deux de vos projets actuels?

a) Je viens tout juste d’obtenir une subvention de développement Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour étudier l’utilisation des données volumineuses dans l’agriculture canadienne – c’est-à-dire l’utilisation d’outils numériques pour recueillir et analyser d’importants volumes d’information. Presque aucun travail scientifique n’a examiné attentivement la « révolution numérique » dans l’exploitation agricole, mais elle est réellement en train de s’opérer. John Deere, par exemple, équipe tous ses tracteurs de capteurs qui transmettent des données sur les conditions du sol et des récoltes et invite les agriculteurs à s’abonner et à payer pour avoir accès à de l’information qui peut aider à guider des décisions, par exemple où semer les cultures.

Je compte interviewer des agriculteurs, des concepteurs d’application et des responsables des politiques pour pouvoir ensuite raconter une histoire bien tournée sur ce qui se passe relativement à la révolution numérique et plus particulièrement sur la question de savoir si les nouveaux outils perturbent ou reproduisent les rapports de pouvoir dans le système alimentaire. Je poserai des questions au sujet du contexte de la production et de la gestion des outils agricoles qui captent des données volumineuses, notamment la suivante : Est-ce important que les outils soient produits et contrôlés par le gouvernement ou les grandes entreprises agroalimentaires, compte tenu de leurs genres de répercussions?

b) J’ai plusieurs projets en cours qui portent sur le secteur de l’énergie au Canada atlantique. L’un des projets emploie ce qu’on appelle la « participation publique délibérative » pour incorporer les besoins communautaires dans les décisions sur les innovations énergétiques. En juin 2016, j’ai organisé avec un collègue et chercheur postdoctoral de Guelph University un type particulier de discussion sur les technologies de l’énergie au Nouveau-Brunswick, à savoir une délibération qui réunissait 13 membres du grand public. Le groupe de citoyens a établi un ensemble commun de valeurs qui, à son avis, doit guider l’élaboration des politiques en matière d’énergie, qu’il s’agisse des décisions concernant les oléoducs, la fracturation hydraulique ou les sources d’énergie renouvelables.

5) Comment vos recherches ou votre travail peuvent-ils contribuer, selon vous, à l’élaboration de politiques publiques fondées sur des données probantes?

a) J’ai signé un contrat avec McGill-Queen’s University Press pour publier ma recherche sur les données volumineuses dans un livre qui paraîtra au début de 2019. J’espère que ce livre sera utile aux agriculteurs et aux décideurs des secteurs privé et public, car il augmentera les connaissances sur la façon dont les données volumineuses appliquées à l’agriculture doivent être comprises et, surtout, gérées. Le livre décrira la façon dont les données volumineuses sont construites et utilisées dans l’agriculture canadienne, les utilisateurs des données et ceux qui profitent des données, ainsi que les limites ou les biais possibles des outils et ensembles de données étudiés. Les responsables de la gouvernance d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et de la Fédération canadienne de l’agriculture ont déjà exprimé leur intérêt à l’égard de ce projet.

b) À l’aide d’activités de recherche telles que la délibération tenue en juin, j’espère établir un ensemble de méthodes rigoureuses (« éprouvées ») que les responsables des politiques pourraient utiliser pour incorporer les besoins des citoyens et de la collectivité dans les décisions concernant l’avenir énergétique du Nouveau-Brunswick. Ces décisions sont souvent controversées, comme dans le cas d’Énergie Est. Allant au-delà des combustibles fossiles, ces méthodes pourraient réellement aider à déterminer a priori(avant que les décisions soient prises) un avenir axé sur les sources d’énergie renouvelables, ce qui fait partie de ce que le Cabinet du premier ministre envisage comme étant économiquement viable pour la province. Le nouveau plan de croissance met l’accent sur les forces locales en matière de technologies de réseau intelligent et de biomasse, ce qui est excellent. Toutefois, le travail à réaliser pour faire croître cette économie alternative n’est pas seulement technique (p. ex. la recherche effectuée sur le réseau intelligent à l’Université du Nouveau-Brunswick avec Siemens). L’infrastructure sociale doit être sécurisée pour que ces technologies deviennent pertinentes pour les Néo-Brunswickois. Un sondage préliminaire, par exemple, a montré que les citoyens du Nouveau-Brunswick, comparativement à ceux d’autres provinces, hésitent à adopter les innovations renouvelables, ce qui est un problème si l’on veut accroître la production au niveau des ménages et créer un réseau intelligent fondé sur l’adoption de ces outils. Mes méthodes et ma recherche pourraient aider à combler les lacunes entre la collectivité et les responsables des politiques en découvrant, par exemple, la cause profonde de cette hésitation. Il faut peut-être simplement accroître les niveaux de littératie en matière d’énergie, mais la question n’est peut-être pas aussi simple.

6) Décrivez-nous certaines de vos réalisations passées qui ont été importantes dans votre cheminement professionnel. Ont-elles contribué à promouvoir des politiques publiques fondées sur des données probantes?

J’ai connu à la fois les difficultés et les énormes récompenses associées à la participation du public à l’élaboration de politiques en travaillant à la stratégie alimentaire de Toronto, une politique globale du Bureau de santé publique de Toronto. C’était la première en son genre (à Toronto) à faire participer les groupes communautaires et militants à l’élaboration de la politique. On tenait des consultations, mais il n’y avait jamais eu de participation à l’élaboration d’un document de politique tel que celui de la stratégie alimentaire. J’ai beaucoup appris du processus et de l’ancien président du Conseil de la politique alimentaire de Toronto, Wayne Roberts, Ph. D.

J’ai par la suite utilisé cette expérience dans ma recherche pour ma thèse, qui a révélé une contradiction entre les préoccupations des agriculteurs concernant les graines génétiquement modifiées – celles qui ont été génétiquement modifiées pour fonctionner avec les produits chimiques agricoles – et les évaluations de ces graines par les responsables de la réglementation. Certains détails de mes entrevues qualitatives décrivant les expériences des agriculteurs avec ces technologies ont été intégrés de façon minimale dans la révision de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie.

Grâce à l’ensemble de connaissances que ces expériences antérieures m’ont apporté, on m’offre des occasions incroyables de mettre en pratique les objectifs de ma recherche. À l’heure actuelle, par exemple, je siège avec six autres personnes à un conseil consultatif d’Énergie NB sur un examen environnemental comparatif du barrage de Mactaquac. Comme je suis l’unique spécialiste en sciences sociales dans un groupe d’hydrologues et d’ingénieurs, mon rôle principal est d’aider le service public à peser les conséquences sociales de toute décision concernant le barrage.

7) Décrivez en quelques phrases comment vous avez participé aux activités du RRPSNB et comment votre relation avec le Réseau a contribué à votre travail ou à vos recherches et/ou aux politiques sociales/économiques?

Le RRPSNB a collaboré à la préparation de mes demandes de subvention et m’a réellement aidée à bien réfléchir aux aspects de ma recherche qui touchent à la mobilisation des connaissances. Les ressources du RRPSNB m’ont été utiles pour établir un lien entre ma recherche et les responsables des politiques et autres personnes dans la collectivité qui sont susceptibles d’en bénéficier, ce qui pour moi a une importance cruciale.

8) Auriez-vous quelque chose à ajouter, un mot de la fin?

Je pense que les gens sont parfois étonnés d’apprendre que je suis issue d’une famille de classe ouvrière : je travaille depuis l’âge de 13 ans et mon premier emploi a été un travail de classement « au noir » pour une agence de recouvrement. Je crois que cela est pertinent, car même si j’ai maintenant un titre élégant, mon passé me permet d’aborder les choses sous divers angles, ce qui est utile, compte tenu du genre de recherche que je fais. En ce qu’elle a de plus élémentaire, ma recherche consiste à établir un pont entre différents points de vue : les scientifiques et le public; le public et les responsables des politiques; les humains et l’environnement.


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